Table des matières

La petite fille

Elle est là, toute menue, au fond de la classe. Elle est là, comme invisible. C'est l'enseignante qui l'a placée dans ce coin. Elle est à l'écart des autres enfants. C'est une classe de première année.

Isabelle a six ans. Son langage est celui d'une enfant de quatre ans. Elle prononce mal certaines lettres. Elle se fâche quand elle doit répéter. Elle se fâche et bute sur les mêmes lettres.

Isabelle ne comprend pas. On semble la punir de sa différence. Elle a vu une madame qui s'occupe des mots et des sons. Isabelle a fait des efforts. La madame a cessé de la voir. Trop d'enfants avec trop de problèmes.

Au fond de la classe, Isabelle ne demande plus rien. À quoi ça sert? Aucun adulte n'entend le cri dans sa tête.

La bigote

Madame Duval est catholique. Elle va à la messe tous les dimanches. Elle se confesse aux deux semaines. Elle fait ses prières tous les soirs. Elle prie pour son mari et ses enfants. Elle prie pour que Dieu la protège.

Madame Duval trouve que le monde a bien changé. La méchanceté est à tous les coins de rue. La société va à la dérive. Les églises sont vides. La facilité a remplacé le sens du devoir.

Ses devoirs de catholique, Madame Duval les remplit à la lettre. Chaque année, elle paie sa dîme à l'église. Elle fait la charité à Noël. À qui la faute si tout va mal? Sûrement pas à elle!

L'autre soir, madame Duval, qui sort peu, est sortie. Le curé la demandait. En revenant, elle a vu un homme tomber. Il demandait de l'aide. Madame Duval a passé son chemin.

Le kilo en trop

"Tu es trop grosse." semble lui dire son miroir.

Karine a quatorze ans. Elle est dans sa chambre. Complètement nue, elle se regarde devant le grand miroir. Elle examine son corps attentivement. Son ventre n'est pas encore assez plat. Elle doit être plus disciplinée.

Sa copine Nathalie réussit à ne pas manger pendant deux jours. Elle dit que c'est une question de volonté. Si on veut un corps parfait, on doit le forcer. Nathalie ressemble aux mannequins des magazines de mode.

Karine n'a pourtant pris qu'un seul repas. Elle a avalé des biscottes et de la salade. Elle voulait jeûner mais la tête lui tournait trop. Elle devra payer ce laisser-aller.

Karine se dirige vers les toilettes. C'est là que finiront les biscottes et la salade.

Le touriste

La Thaïlande. Une chambre d'hôtel petite et sale. Une rue à touristes. Du plaisir pour pas cher. Pour tous les goûts.

Des amis lui ont dit comment s'y prendre.

  • Tu demandes à un chauffeur de taxi. Il voudra savoir combien tu as d'argent. Et il va te conduire selon ton portefeuille.

François suit la méthode de ses amis. Son chauffeur sourit. Il fait signe qu'il a compris. François lui montre des billets.

François est dans la chambre. Il attend. La patronne de l'hôtel lui a demandé ses goûts. Il lui a dit. Elle lui a fait un signe universel. François a payé. Elle lui a montré des photos. Il a choisi.

La photo d'une jeune Asiatique de douze ans.

La Thaïlande, François ne connaît pas!

Le sou noir

Armand est avare. On ne sait trop d'où ça lui vient. Il est ainsi, c'est tout! De connaître son enfance ne changerait rien. Armand est trop vieux pour devenir généreux.

Tout a une valeur pour lui. Même le plus petit sou noir. Armand ne donne pas un meuble usagé. Il le vend. Il ne donne pas un vieux vêtement. Il le garde, au cas où...

Armand a déjà été marié. Il ne l'est plus. Sa femme l'a quitté. Elle n'en pouvait plus de le voir compter. De le voir donner en ne voulant pas donner. C'était, chaque fois, comme si on arrachait l'âme d'Armand. Ça détériorait leur relation. Ça la mettait au ras du sol.

Là où se trouve quelquefois le sou noir qui porte chance!

Les mots

  • J'ai quelque chose à te dire. Quelque chose d'important. Ce n'est pas facile. Non! Laisse-moi parler! Après, tu parleras! Depuis deux jours, dans ma tête, je cherche les mots. Ils sont là depuis longtemps. Je ne voulais pas les entendre. J'avais peur de te les dire. Je ne savais pas lesquels choisir. Il y en a tant! Ceux qui font mal. Ceux qui sont durs. Ceux qui ont un reste de tendresse. Ceux qu'on voudrait taire. Ceux qu'on devrait taire. Ceux qu'on ne peut reprendre.

Devant le miroir, Carole pratique. En faisant les cent pas, Carole parle à l'autre. Il va venir tantôt. Celui avec qui elle a partagé tant de mots. Mots d'amour. Mots complices. Doux mots.

Et maintenant, il va venir entendre les derniers mots de Carole.

Point final!

Échanges

Toilettes publiques. Un jeune de vingt ans et un homme plus âgé. Scène habituelle pour Olivier. Scène qu'il répète chaque jour.

Vite! Très vite! Il prend l'argent du vieux. Vite! Très vite! Il s'active à genoux. Olivier a une nausée. C'est toujours ainsi. Alors, il pense à l'argent. À ce qu'il fera avec. Dix minutes d'un travail sale et il pourra se payer son paradis à lui.

L'homme part sans dire un mot. À quoi sert de parler? Les deux ont eu ce qu'ils voulaient. L'un, du plaisir rapide. L'autre, de l'argent vite fait.

Olivier se dépêche. Il sait où il va. Il va à un autre rendez-vous. Il va à un autre échange. Olivier donne son argent. Il reçoit ce qu'il veut tant.

Chez Olivier. Tout est prêt. Tout l'attendait. Le liquide de l'oubli coule dans ses veines.

Tout et rien

Mélanie a tout eu. Enfant de riches, elle n'avait qu'à demander. Un vélo neuf à chaque année. Des vêtements de grands couturiers. L'école privée.

La petite Mélanie vivait dans la ouate. Son entourage la mettait à l'abri du monde. Elle était la princesse d'un conte de fée.

A l'adolescence, Mélanie est devenue difficile à contenter. Tout lui était dû! Les plus beaux garçons. Les vacances hors de prix. Le chauffeur privé à son service.

La jeune Mélanie se coulait dans la ouate. Il y avait elle et il y avait les autres. Elle était la reine et elle commandait.

À l'âge adulte, Mélanie se noyait dans sa ouate. Elle étouffait de tout avoir. Elle se sentait un pion inutile de la vie.

"Tout et rien." ont été ses derniers mots.

Le vieux couple

C'est le petit matin. On est en janvier. Les vitres sont givrées. Léo a encore mal isolé les fenêtres. C'est comme ça chaque année. Il dit qu'il est capable. Rita, sa femme, le laisse faire. Elle le connaît bien son mari.

Léo et Rita font leurs gestes habituels. Rita verse le café à Léo. Léo met la crème dans le café de Rita. Il sait toujours quand arrêter de verser. Lui aussi connaît bien sa femme.

C'est ainsi depuis la retraite de Léo. Ils font attention l'un à l'autre. Ils sont redevenus de jeunes amoureux. Rita fait des petits soupers à la chandelle. Léo apporte les fleurs préférées de Rita : des oiseaux de paradis. Chaque fois qu'il arrive avec son bouquet, il lui dit la même phrase:

  • Pour des gens au paradis comme nous, je ne pouvais pas acheter autre chose.

Ce petit paradis a été construit de compromis. Rita a appris à taire ses commérages. Léo a appris à chuchoter des mots doux. Ça n'a pas toujours été facile. Leur vie a eu des hauts et des bas.

Ensemble, ils ont tout vécu. Leur peine de perdre Martine deux mois après sa naissance. Leur joie de marier Thomas, leur petit dernier. Le baptême de leur première petite-fille.

Naissance qu'on additionne à la vie et mort qu'on lui soustrait. En cinquante ans de vie commune, Léo et Rita ont trouvé chacun leur compte.

La radio joue une chanson de leur jeunesse. Léo regarde Rita. Il la revoit comme au début. Il lui fait son sourire enjôleur. Celui qui a fait perdre la tête à Rita. Celui qui l'a menée droit à l'autel.

Et à la chambre à coucher!

La rencontre

  • Tu as du feu?

Julie lève la tête. Il est là devant elle. Il lui sourit. Son sourire est si invitant. Ça fait deux semaines qu'elle attend ce moment. Ça fait deux semaines qu'elle lui jette des regards par en-dessous.

Julie est une habituée de ce petit café de la rue Ontario. Il y a seulement une dizaine de tables. Tout le monde se connaît. Ce sont des gens du coin. Des jeunes, des mères, des personnes âgées. La patronne, Andrée, sait l'histoire de chacun.

Elle sait que Julie traîne une peine d'amour qui n'en finit pas. Mais elle ne connaît toujours rien de ce nouveau client.

Il est entré un matin pluvieux dans le petit café. Il prend toujours deux croissants et de la confiture. Après le premier croissant, il se roule une cigarette. C'est comme un rituel.

Il parle peu. Même Andrée n'a jamais osé l'aborder, elle si directe. Et Julie, bavarde comme une pie en temps normal, est devenue silencieuse.

Et enfin! Il est là, debout devant elle. Il a parlé. Peu, très peu. Et pas de la façon qu'elle aurait voulu. L'ouverture est créée. Julie doit en profiter. Elle lui tend ses allumettes.

Vincent se présente. Il s'assoit à la table de Julie.

  • Pas géniale ma façon de t'aborder! Ça fait une semaine que je réfléchis et j'ai rien trouvé de mieux. Excuse mon manque d'originalité!

Julie et Vincent ont parlé. De tout et de rien. Le soleil éclaire leur visage. Le petit matin avance vers le midi.

Une histoire commence...

Scène d'amour

Hugo regarde Lydia. Il la dévore des yeux. Leur nuit d'amour va être chaude. Comme toutes leurs nuits depuis qu'ils se sont enfin trouvés.

Sophie referme son roman Harlequin. Elle en lit deux par semaine. Dans son lit, avec une musique d'ambiance. Elle aussi, elle rencontrera un jour son prince charmant. En attendant, elle savoure les histoires inventées.

Sophie a trente ans. Elle est secrétaire dans une compagnie d'assurances. C'est pas la joie! Elle aurait voulu être infirmière comme dans les romans. Pas d'argent, pas de parents qui pouvaient l'aider. Elle a dû faire des études rapides. Le résultat la déçoit. Tout la déçoit.

La femme de chambre a préparé les draps de satin. Lydia entre. Hugo est là, sûr de lui. Il connaît la suite.

Sophie soupire et se lève. Ce soir, elle soupe avec Patrice. C'est un nouveau collègue de travail. Il la regarde depuis des semaines. Il a enfin osé l'inviter.

Sophie se lave, se maquille avec soin. Elle met la robe qui la moule si bien. Patrice lui a envoyé des fleurs. Un petit bouquet. Sophie est déçue.

Lydia ouvre la porte de son appartement. Elle s'arrête, surprise, et pousse un cri de joie. Des centaines de fleurs sont posées un peu partout. Sur la table, une petite carte, avec un cour dessiné. Lydia ne se possède plus. Elle court chez Hugo.

Sophie soupire à nouveau. Elle doit penser à la soirée. C'est elle qui choisit le restaurant. Pourquoi pas un restaurant russe?

Patrice est venu. Et il est reparti. Impossible de battre Harlequin!

Les pétales arrachés

Marcel est représentant. Il vit plus souvent sur la route et dans des motels. Il aime s'entendre parler. Il sait tout mais jamais en profondeur.

De son avis même, il connaît surtout les femmes. Ces créatures faibles et fragiles, comme il dit à qui veut l'entendre. Des fleurs qu'on doit arroser tous les jours. Une chance qu'il est là!

Marguerite, sa femme. La fleur de Marcel. C'est le verbe facile de Marcel qui l'a charmé. Tout le monde le lui avait dit. Sa famille, ses amis. Marcel était la carte gagnante de sa vie. Avec lui, elle s'épanouirait.

Marguerite a donc épousé Marcel. Devant Dieu et les hommes, elle a dit oui. Pour le meilleur et pour le pire, elle a dit oui. Dans la famille de Marguerite, on ne divorce pas.

Un mariage qui a coûté cher à son père. Un mariage qui a épaté tout le monde. Marcel qui sourit de contentement sur toutes les photos. Marguerite qui regarde Marcel avec un sourire béat. Les photos sont maintenant jaunies.

Un voyage de noces en Grèce. Marguerite qui se donne corps et âme à Marcel. Marcel qui prend le corps de Marguerite.

Là-bas, le soleil et la mer ont rendez-vous tous les jours. Là-bas, Marguerite attend Marcel. Elle ne comprend pas. Qu'est-ce qu'elle a pu faire? Lui aurait-elle déplu sans le savoir?

Là-bas, Marcel court les jupons. C'est plus fort que lui. Ça n'a pas d'importance. Il a toujours été ainsi. Marguerite s'habituera.

Mais Marguerite ne s'est jamais habituée. Les aventures de Marcel l'ont fanée. Elle a choisi la folie. Dans sa famille, on ne divorce pas!

L'immigrant

Moustapha vient du Mali, un pays d'Afrique. Il est au Québec depuis deux ans. Moustapha ne connaît pas son âge. Dans sa tribu, ça n'a pas d'importance.

Moustapha a deux boulots. Il est plongeur dans un restaurant du Vieux-Montréal. Il fait aussi des ménages chez des particuliers. Moustapha a du courage à revendre. Il poursuit un but.

Son seul loisir est le soccer. C'est son moment de détente. Au Mali, il était classé joueur national. Ici, il joue amateur avec des Québécois et d'autres Africains.

Moustapha est un musulman pratiquant. Il fait ses prières, tourné vers l'est, tous les jours. Ce n'est pas un extrémiste. Il croit que tous les dieux sont bons. C'est le mal, fait au nom des dieux, qui est mauvais.

Moustapha aide sa famille restée là-bas. Tous les mois, il envoie de l'argent. C'est pour bâtir une maison. Ce sera la plus grande maison du village. Toute la famille pourra y loger. C'est pour ça qu'il travaille autant. C'est le but de sa vie.

La mère de Moustapha ne sait pas lire. C'est le cousin qui écrit les nouvelles du Mali. Elle bénit Moustapha de ne pas oublier. Elle lui raconte les mariages et les enterrements. Elle lui explique la maison qui prend forme.

Moustapha, aussi, ne sait pas lire. C'est une amie québécoise qui lui lit les paroles de sa mère. Elle écrit les nouvelles de Moustapha.

Il parle peu de lui dans ses lettres. Il parle de la maison et des travaux. Il met en garde. Il conseille. Il ne dit jamais qu'il est seul et qu'il a peur parfois.

Moustapha poursuit son but.

L'empotée

  • Regarde où tu mets les pieds! Une vraie empotée! C'est comme ça chaque fois! C'est à se demander qui l'a faite celle-là!

Line répond d'une voix proche des larmes : "Je ne l'ai pas fait exprès! Je vais tout ramasser."

C'est le troisième incident de la matinée. C'est la troisième fois que Line s'excuse. On est samedi. Elle aide sa mère au grand ménage. C'est comme ça tous les samedis. Une obligation filiale.

Line a toujours été ainsi. Elle est maladroite avec les objets. Elle les échappe. Elle les égratigne. Elle les casse.

Elle vient de faire tomber une plante. Elle passait l'aspirateur. Son pied a cogné le vase. Il y a plein de terre sur le plancher.

C'est toujours la même chose. Sa mère l'asticote tout le temps. On dirait qu'elle lui en veut. Jamais un compliment! Que des remarques blessantes! Line sent que ce n'est pas fini. Le pire est à venir. Elle pourrait dire les répliques à la place de sa mère.

  • Empotée comme tu es, personne ne voudra de toi! Le garçon qui va te marier va le regretter assez vite! Tu ressembles de plus en plus à ton père! Lui aussi...

Line n'écoute plus. Ça lui fait trop mal. Quatre ans que ce manège dure! Et elle n'a que douze ans! Vivement l'âge adulte!

Elle fera comme son père a fait. Il y a de cela quatre ans. L'autre empoté de cette famille, comme dit sa mère.

Elle aussi, elle partira. Elle quittera sa mère comme son père l'a fait.

À moins que, d'ici là, une maladresse plus maladroite arrive...

Changement de cap

Catherine est avocate. Elle a quarante-cinq ans. À quarante ans, elle a mis la clé dans la porte. Finie la pratique privée! Finie la peur!

Elle était la meilleure de sa promotion. On lui prédisait un bel avenir en droit. Toutes les portes lui étaient ouvertes.

Catherine a choisi le droit criminel. Elle rêvait de défendre la veuve et l'orphelin. La justice serait la même pour tous!

Cette belle pensée a suivi Catherine dans ses débuts. Elle gagnait toutes ses causes. On la disait imbattable dans ses plaidoiries. Elle savait reconnaître les bons jurés. Ceux qui feraient acquitter son client. Son nom a circulé dans le milieu judiciaire.

Le petit bureau des débuts est devenu un gros bureau. Catherine a embauché des finissants prometteurs. Son cabinet d'avocats roulait à fond de train. La renommée augmentait. L'argent entrait à flots. Il n'avait plus d'odeur.

Le souvenir des débuts était loin, perdu dans les brumes de la gloire.

Les causes se succédaient. Elles faisaient souvent la une des journaux. Catherine défendait de drôles de clients. Certains procès lui laissaient un goût amer. Elle les oubliait avec de la boisson. Elle les oubliait avec des amants de passage.

Et soudain, à quarante ans, en plein procès, Catherine a craqué. Elle a refusé de défendre son client. Un client très riche qui s'en sortait toujours grâce à elle. Il a été inculpé. Catherine a reçu des menaces qui l'ont fait réfléchir.

Finie la pratique privée! Finie la peur! Catherine a de nouveau un petit bureau. Elle touche ses honoraires auprès de l'aide juridique.

La fin du film

Martin revient du petit cinéma de répertoire. Il est dans tous ses états. Il a encore vu un vieux film des années cinquante. Ça, c'est du vrai cinéma! Martin gesticule et se parle à voix haute.

La piqûre pour le cinéma, Martin l'a eue tout petit. Ses parents étaient des fanatiques de vieux films. Quelles belles soirées! Assis entre les deux, Martin était aux anges. Les images défilaient et le captivaient.

Amours, aventures, drames et comédies ont bercé le jeune Martin. Sa tête était remplie d'images. Son enfance était comme un film. Il passait des heures à rêver des scénarios.

Martin ne jouait pas comme les autres enfants. Sa vie était toute tracée. Il ferait du cinéma.

Adolescent, Martin promenait sa caméra partout. Il emmagasinait les images de la rue. Il captait des visages sur le vif. Martin filmait en s'imaginant devenir un réalisateur célèbre.

Un soir doux de mai, dix heures. Martin a tourné un coin de rue. Il a vu d'immenses flammes. Il a vu les pompiers impuissants. Il a vu les badauds massés au loin. Le cinéma Bellevue brûlait.

Martin a mis sa caméra en marche. C'était devenu un geste automatique. Un drame humain se déroulait. Il a tout filmé. Même le toit qui s'écroulait. Des images, beaucoup d'images qui le rapprochaient de son rêve.

Martin a su le lendemain. Ses parents étaient dans le cinéma. Les images dans l'œil magique sont réelles. La vie de Martin a basculé dans la folie.

La fin du film est triste.

Le chasseur

Benoit est un chasseur. Un vrai de vrai. Rien ne lui résiste. Aucun animal ne lui fait peur. Avec sa carabine en mains, Benoit devient un autre homme. L'homme qu'il voudrait être dans sa vie.

Benoit préfère le gros gibier. Traquer un chevreuil ou un orignal, ça c'est du sport! Il n'a jamais manqué sa proie.

Aujourd'hui, Benoit est heureux. Il a quitté le chalet avant les autres chasseurs. Il a quitté avant ses amis. Ça fait trois jours qu'il endure.

Il endure Thomas, un collègue de travail qui chasse pour la première fois. Ses gaffes de débutant le font rager. De plus, Thomas est lunatique. Il prend la chasse pour des vacances.

Hier soir, Benoit a parlé à Denis, son grand copain de chasse. Il lui a dit d'enlever Thomas de son chemin.

  • Tu voulais apprendre la chasse à Thomas. C'est à toi de t'en occuper! Par deux fois, il a fait fuir mon orignal. Celui que je piste depuis le début. Avant que tu me reprennes à dire oui pour un autre amateur! Toi et ton côté saint-bernard!

Bien à l'abri du vent, Benoit attend. Il n'est toujours pas calmé. Une petite brume pèse sur la forêt. Les bruits habituels du lever du jour se font entendre. Il repense à son orignal. Il doit l'avoir.

Soudain, à sa gauche, un fort piétinement. C'est là, derrière de gros arbres. La piste de l'orignal l'a mené où il est. Benoit arme sa carabine. Il voit mal à cause de la brume. Il devine plus qu'il ne voit sa proie. Il tire au jugé.

Des cris! Benoit se précipite. Thomas, hébété, est penché sur le corps de Denis.

Au loin, la brume se lève sur un orignal.

La vedette

L'émission débute toujours de la même façon. Les caméras font un survol du public en délire. Sur l'écran, ça donne un ensemble de visages anonymes. Les gens réclament l'entrée en scène de leur vedette.

La chaîne Télé Populaire a eu le nez fin. L'embauche de Stéphane Lapalme leur rapporte beaucoup. L'auditoire dépasse le million de personnes.

  • Bonjour mesdames et messieurs! Ici votre animateur Stéphane Lapalme! Au programme ce soir, j'ai pour vous plusieurs surprises.

Ça fait bien quatre cents fois que Stéphane dit cette formule. Ce soir, il la trouve idiote. Ce soir, il trouve son rôle inutile.

Après l'émission, il ira voir le directeur des programmes. Il lui dira son intention de quitter les ondes. Il n'en peut plus de son image publique. Il veut trouver qui il est vraiment. Il ne le sait plus. Il a trop laissé les caméras l'envahir.

Stéphane n'a plus de vie privée. Le moindre de ses gestes est étalé dans les journaux à potins. Au début, il courtisait ces journaux. Les entrevues aidaient à sa célébrité. Maintenant, il les fuit comme la peste.

C'est comme son gérant. Il lui a arrangé son enfance trop tranquille. Il lui a inventé une adolescence difficile. Il l'a bâti de toutes pièces. Il a fait de Stéphane une mécanique parfaite.

Ce soir, la mécanique lâche. Stéphane va surprendre tout le monde. Dans une petite heure, il va récupérer sa vie.

D'ici là, le public aura Stéphane tout à lui. Chaque personne croira qu'il s'adresse à elle seule.

  • Mesdames et messieurs, invitons...

Publications du Tour de lire

Des sons en progression, 1989
La méthode phonétique au niveau débutant, 1990
Nouvelles du monde, 1990
Le niveau intermédiaire...à découvrir, 1991
Le niveau avancé : un tournant qui s'écrit, 1991
Voyage dans le temps, 1992
Trois Contes, 1993
Pour l'amour de la Chanson, 1996
La traversée du tunnel, 1997
Prenez le Tour de lire, 1998

Remerciements

Le Tour de lire remercie le Secrétariat national à l'alphabétisation et le gouvernement du Québec pour leur soutien Financier.

Crédits

Conception et rédaction des textes
Michèle David

Correction
Line Robitaille

Édition et impression
Imprimerie RDI

Tour de lire 1999